• L'incidence intégrale sous toutes ses coutures

    Publication : 26.06.2020, dernière MAJ : 29.08.2021 

    L’incidence intégrale est un système de pilotage assez fascinant, aussi séduisant par sa simplicité apparente qu'un peu mystérieux et relativement confidentiel. Très peu de constructeurs en proposent à leur catalogue, et c’est un système sans équivalence en aviation grandeur, ce qui le rend encore plus exotique. On le rencontre cependant un peu plus souvent depuis une dizaine d’années sur des petits planeurs en mousse de vol libre modifiés pour le vol RC (voir liens en bas de page), sans risque donc pour s’essayer à ce principe.


    Mes premières investigations sur ce sujet datent de 1994, après avoir découvert dans le magazine RCM l'essai du Samouraï de SIG  par Pascal Delannoy : ça été une révélation et je me suis lancé dans la création de l'Hypnosys. Le fuselage, inspiré de celui de l'Arcus de Robbe, a été moulé classiquement en fibre de verre et résine époxy. Les ailes, à base d'extrudé découpé au fil chaud, étaient nettement plus innovantes, par la technique de coffrage (sandwitch 
    CTP 0.4 mm + tissu de verre, bord d'attaque moulé en mèches de carbone torsadées) et surtout par l'utilisation d'un profil de racer type reflex, le MH43. Même si ce dernier est devenu ensuite un classique du genre, personne à l'époque n'avait parié sur la viabilité d'un tel choix. L'Hypnosys a été aussi le premier planeur de cette envergure et capable de vitesses de vol aussi élevées à se doter d’un système à incidence intégrale, avec de simples servos standard (Graupner C507). Aussi facile à piloter que véloce, il m’a permis de débuter en F3F sans avoir à rougir face aux excellents Factor d'Inaki Elissondo et Ellipse de Jaro Muller. En parallèle, François Cahour et Alain Maréchal développaient leur célèbre Pixel, qui brillera pendant quelques temps en course aux pylônes 60" et qui fera surtout le bonheur de bien de vélivoles en quête d'un petit planeur à la fois joli, original, polyvalent et performant.

     


    L'Hypnosys au Puy d'Ecouyat (63), 1995

    Bien d'autres modèles ont suivi, comme le Crobe, je vous en propose ici une synthèse, avec les plans et articles plus quelques retours d'expérience sur ce qui fonctionne bien, et aussi, en toute objectivité, sur ce qui fonctionne moins bien. Vous trouverez aussi en fin de cette page un peu de bibliographie et des liens sur le web vers d'autres créations (SVP : si vous avez d'autres liens à proposer, n'hésitez pas à me les soumettre pour enrichir cette page).
     

     

    Un peu d'histoire

     

    Les premiers expérimentateurs (voir ci-dessous la rubrique "bibliographie") des années 70-80 avaient d’abord utilisé la variation d'incidence des ailes (par rotation autour d’une clé cylindrique) en tant que fonction ailerons, donc avec les ailes pivotant en opposition et un seul servo pour les actionner en "push-pull". C'est l'incidence différentielle, baptisée à l'époque incidence variable. Le système était particulièrement intéressant, car il dispensait des complexes, lourds et peu pratiques systèmes de renvois qu'imposait l'utilisation d'ailerons actionnés par des servos "standards" logés dans le fuselage. Un des exemples les plus emblématiques de planeur à incidence différentielle est le célèbre Axel, de la marque française BLS.

     

      

                     Système de commande du Pirat04, 1980                                                   Axel de BLS, 1982  

     

       
    Exemple d'installation radio classique des années 80, avec mixage mécanique et renvois d'ailerons (source : RCM n° 05 et 16).

     

    Par la suite, dans les années 90 avec l’apparition de des radiocommandes programmables, la fonction profondeur a été ajoutée (ailes pivotant aussi dans le même sens) avec un servo par aile et un mélangeur ailerons et profondeur. C'est l'incidence intégrale, avec notamment les Pixel d'Airtech et Samouraï de SIG, ainsi que les Vmax et Vmax+ de Richards. Un système ne pilotant que la profondeur (incidence variable) a aussi été testé, mais son intérêt est limité par rapport aux deux précédents. 

     

    A noter que, dans les pays anglophones, il est question de « wingeron » (incidence différentielle) et « pitcheron » (incidence intégrale), c'est toujours bon à savoir si vous souhaitez faire une recherche sur le net.

     

             

                 Samouraï de SIG, 1993                                          Pixel d'Airtech, 1995 (crédit : Geeby22)

     

     

    Ces systèmes présentent des avantages assez évidents :

    • Simplicité de construction des ailes (pas de gouverne)
    • Légèreté et faible inertie des ailes (pas de commande ni de servo dans les ailes)
    • Moindre traînée d’aile en lisse (pas de commande qui dépasse, pas de fente ni d’articulation)
    • Moindre traînée de profil et induite en départ et arrêt en roulis (car moindre inertie, donc moindre besoin de braquage)

    A cela se rajoute un intérêt intellectuel et pratique : en l’absence de gouverne et de commande dans les ailes et le stabilisateur, ces voilures peuvent être reliées au fuselage par des systèmes libérés des contraintes habituelles, au bénéfice de la rapidité et de la praticité de montage / démontage et/ou de la protection des éléments en cas de posé dur. Nous en verrons quelques-uns ci-après.

    Un dernier apport de l'incidence intégrale (et de l'incidence variable), nettement plus subtil, est très intéressant en planeur : la traînée du fuselage est sensiblement réduite à forte incidence d'aile [gratte, virage serré et boucle], car l’incidence du fuselage est liée à celle du stab. Le fuselage reste donc mieux aligné dans la trajectoire, et traîne sensiblement moins que dans le cas d'un planeur classique où l'incidence du fuselage suit celle de l'aile.

    Mais les inconvénients de l'incidence intégrale ne sont pas négligeables :

    • Efforts sur les articulations potentiellement très importants : les guidages et les commandes sont à soigner, en évitant tout jeu, souplesse, friction, risque de flambage ou d'arc-boutement, ainsi que toute asymétrie dans le système de commande. De plus, les servos doivent être choisis avec soin, ainsi que le placement de la clé, très dépendant du choix du profil. En cas d’erreur, les efforts sur les servos peuvent être excessifs ou le système de commande peut se bloquer, potentiellement jusqu'à la perte de contrôle.

    • Pas de courbure pilotée : cela rend le choix du profil cornélien si on cherche la perfo, car il faut faire un compromis entre les phases de gratte, celles au badin ou en transition et celles en évolution serrée positive et négative. Certes, on peut toujours ajouter des volets de courbures, mais cela revient à faire une aile classique, ce qui fait perdre une grande partie de l'intérêt de l’incidence intégrale. A moins d'utiliser le très astucieux couplage mécanique développé par Gérard Simon pour son Satanig (voir ci-dessous), qui dispense de tout servo additionnel.

    • Pas d’AF croco : d’autres solutions de freinage sont à déployer sur les planeurs fins et rapides, si possible sans complexifier les ailes.

    • Pilotage plus exigeant à faible vitesse : un ordre trop important en roulis lors du vol aux grands angles engendre un décrochage asymétrique en sens inverse de l’ordre (c’est l’aile à l’extérieur du virage qui décroche en premier). A garder en tête pour ne pas être pris en défaut, en particulier avec une machine très chargée qui sera moins tolérante aux approximations de pilotage. Par contre, sur une machine peu chargée et au comportement doux au décrochage, cela ne pose aucun souci particulier.

    • Programmation particulière : il faut utiliser un mixage delta associé à un réglage du différentiel d'ailerons ainsi qu'à un taux de dual-rate (fonction au nom très impropre, puisque rien n'oblige à utiliser plus d'un taux) différencié par manche. En effet, pour avoir des réactions homogènes sur les deux axes, il est nécessaire d'avoir plus de débattement -environ 30% à 50% de plus suivant les appareils- à la profondeur qu'aux ailerons. Faute de ce réglage, un modèle à incidence intégrale paraîtra toujours vif aux ailerons et mou à la profondeur.


    Les deux premiers points sont les plus contraignants, et m’ont conduit à développer des profils spécifiques, à la fois polyvalents et à faible Cm0 (séries FAD05, MH43, FAD06, FAD15, FAD18), ainsi qu’une méthode de calcul de couple des servos et de la position de la clé d’aile (article ici, SVP ne retenez pas la partie sur le centrage, elle est fausse... eh oui, moi aussi il m'est arrivé de faire l'erreur de confondre foyer et centre de poussée !).

    Les autres points ont aussi fait l’objet de solutions originales, et c’est d’ailleurs cette « adversité technique » qui m’a le plus motivé dans cette aventure. Idem pour la programmation des radiocommandes car, même si l’incidence intégrale est un peu atypique, surtout avec des artifices comme une dérive-aérofrein, elle n’est pas pour autant compliquée à gérer à partir du moment où on a intégré quelques bonnes pratiques de programmation (voir ici ).

     

    Voici un listing de mes principales créations à incidence intégrale (cliquez sur l'image pour télécharge le plan et l'article) :


     













    Quelques pages intéressantes :
       - réalisation du Crobe par Armand
       - réalisation du Nexus par Didier
       - adaptations en impression 3D des Crobe et Caracara par Laurent Lalanne
       - adaptations en impression 3D des Pattaya et Nexus 900 par Daniele Busana

    Voici aussi un article sur la WCR, qui réunissait les amateurs de Crobe et autres micro-planeurs MD100 (moins de 100g) il y a quelques années. Avec les difficultés du vol de pente classique face aux contraintes réglementaires actuelles, peut-être ce genre de rencontre pourrait-elle renaître de ses cendres... ?

     

    Retour d'expérience thématique

    • Commande des ailes : aucune des solutions proposées ici ne pose problème (à partir du moment où la clé d'aile et les axes de commande sont bien positionnés, c'est le point le plus sensible). D'apparence la plus intuitive, la commande par renvoi de l'Hypnosys, très proche de celle utilisée par le Pixel et le Samouraï, est techniquement la plus délicate car elle nécessite un petit glissement (des axes de commande dans des fentes des renvois), avec donc un risque de point dur sous effort. D'où le choix sur l'Hypnosys d'un renvoi en stratifié verre/époxy, qui est un matériau relativement dur, pouvant être usiné avec un état de surface très propre, et offrant un bon coefficient de friction avec l'acier [des axes de manœuvre, en CAP]. De plus, ce stratifié a été choisi dans une épaisseur réduite (1.6 mm), ce qui donne un guidage très court des axes de commande et évite ainsi les risques de coincement, contrairement à un renvoi en plastique plus mou et avec un guidage plus long (problème justement rencontré sur le Pixel de série).
      Un rappel à ce sujet : en règle générale, et encore plus sur les modèles un peu rapides et/ou de grande taille, évitez les commandes à liaisons glissantes (par ex. celle-ci, même si elle est particulièrement astucieuse), la friction et le risque d'arc-boutement et/ou de prise de jeu qu'elles entraînent pénalise sensiblement le bon fonctionnement du système. Il vaut mieux toujours privilégier les mécanismes à liaisons pivotantes et/ou rotulantes. En micro-modèle, la commande externe en corde à piano des Crobe (première version) et Pattaya est la plus simple à mettre en œuvre et présente l'avantage de ne pas s'opposer au déboîtement des ailes en cas de crash, elle est d'ailleurs plébiscitée sur nombre de petits modèles en mousse modifiés (Fox Multiplex, planeur Lidl, etc.). Sur des modèles plus grands, un dernier système, imaginé pour le Fractale en alternative de celui du plan, peut être aussi intéressant à utiliser (croquis ici ).
       
    • Maintien des ailes : les systèmes à obstacles, type bague d'arrêt venant butter à l'intérieur du fuselage contre le système de commande ou une plaquette d'appui, sont parfaits pour la liberté de rotation des ailes mais peuvent être destructeurs en cas de posé dur (sauf s'ils sont conçus pour se libérer à partir d'un certain effort). Les aimants offrent exactement les avantages et inconvénients inverses, avec une éjection possible des ailes sans dommage mais une friction non négligeable sur le fuselage, conséquence de la force nécessaire à garantir que les ailes restent en place quelles que soient les manoeuvres en vol (en particulier les tonneaux rapides). Pour réduire au maximum ce couple de friction, deux astuces : positionner les aimants au plus près des clés d'ailes et ajouter un coupon de film mylar ou téflon entre chaque aile et le fuselage, au niveau de l'aimant. Attention cependant de ne pas trop écarter les ailes du fuselage, le jeu entre ces deux éléments est néfaste tant pour les performances que la force de maintien. Entre ces deux systèmes, la solution à crochets + élastique (ou ressort) est un excellent compromis, avec un certain degré de liberté à l'arrachement et une friction modérée quand les ailes sont plaquées sur le fuselage (la tension s'accroissant avec l'écartement de ailes, à l'inverse des aimants). Par contre, il faut une tige à crochet pour installer le système de tension en place, alors que les aimants ne nécessitent aucun outil.

    • Aérofreins : sans nul doute, le plus efficace est celui de l'Hypnosys 2, le freinage est même supérieur à celui d'aérofreins crocodiles classiques, et cela sans aucun effet induit. Juste après vient celui du Fractale, avec cependant un couple parasite en tangage nécessitant une compensation importante à la profondeur. Petite surprise, et preuve qu'un système peut être inventé plusieurs fois et à différentes époque, j'ai découvert récemment que ces principes ont déjà été utilisés par Graupner sur son ASW 22 et un modéliste anglais... il y a respectivement 20 et 40 ans ! A l'opposée, les aérofreins de fuselage sont un bel exercice de style mais n'offrent qu'un freinage symbolique, qui ne justifie pas le travail nécessaire pour les implanter et la masse supplémentaire qu'ils représentent.

    • Maintien du stab : la fixation par collage ou par vis ne pose évidemment pas de souci particulier, tandis que les systèmes démontables à clés rondes (Hypnosys 2) et boutonnières (Fractale) sont très pratiques et fiables à l'usage. Celui qui équipe les Crobe 2 et Caracara n'était pas satisfaisant sur la durée et pas mal d'expérimentations ont été nécessaires pour arriver enfin à un résultat enfin correct. Voici quelques photos du système final, ainsi que ceux du Méphisto (Blejzyk) modifié et PolyTwo, qui fonctionnent particulièrement bien et sont directement utilisables avec un stab fixe :

          

         

     

         

     

     

    Bibliographie et liens web

    Incidence différentielle :

    • Travaux de Jean-Claude Bosquet, Roland Chowchuen, Jean-Claude Lengrand et Jean-Luc Orain
      Modèle Magazine : l'incidence variableAxel
      MRA : Axel , Pirat4 , Ludionmodif. Ludion
      Je n'ai pas retrouvé tous les articles et plans de l'époque, si vous avez cela dans vos cartons n'hésitez pas svp à m'en envoyer les scans pour compléter ce dossier.
    • DeHavilland Vampire PSS , concepteur : Pierre Reitter
    • Quartz , concepteur : François Cahour
    • Svolazzo , concepteur : Stéphane Combet


    Incidence variable :

    • Z-zero , concepteur : Raymond Brun
    • Pou du Ciel , concepteur : Papy Solex


    Incidence intégrale :


    Incidence intégrale + courbure couplée :

    • Satanig (plan ici) , concepteur : Gérard Simon

     

    Pour terminer ce tour d'horizon, quelques photos de modèles à incidence intégrale ou différencielle glanées sur les forums étrangers :

         

           

         

         

           


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